Testament de Renaud de Sévigné
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Après avoir invoqué la grâce de Jésus-Christ et l'avoir supplié de me juger selon sa grande miséricorde, j'ai fait ce présent testament à Port-Royal des Champs, ce premier mars mil six cent soixante et quatorze, étant par la grâce de Dieu sain d'esprit et de jugement.
Aussitôt que mon âme sera séparée de mon corps, je supplie la révérende mère Abbesse et les religieuses de ce saint monastère de lui donner sépulture dans leur sainte maison, quoique j'en sois indigne, et de prier Dieu qu'il me fasse miséricorde.
Je veux que ce que je dois à Mme de La Fayette d'argent, suivant la transaction que nous passâmes ensemble après le décès de feue ma femme, sa mère, lui soit payé sur les immeubles de la terre de Champiré-Baraton, après toutefois qu'elle aura fait la fondation de cent livres de rente pour l'école de Grugé que feue ma femme a ordonnée par son testament. Je fonde à perpétuité l'entretien de la lampe /294/que je veux qui brûle jour et nuit devant le Saint-Sacrement de l'église dudit Grugé ; pour cela je veux qu'il soit pris trente livres tous les ans sur les immeubles de la terre de Champiré-Baraton que j'hypothèque toute pour cette fondation, et particulièrement la métairie du bourg. Plus, je veux que ce que je donne à un aveugle nommé, ce me semble, Madiot, et à un cul-de-jatte nommé Amelin, à chacun vingt et quatre livres leur vie durant, ce que je leur ai donné il y a longtemps.
Plus, je donne aux Bénédictines du prieuré de Lagny trois cents livres une fois payées. Plus, je donne à Geneviève, ma servante, mille livres une fois payées, le tour de lit vert qui est à Paris et un bois de lit et un matelas de laine et trois paires de linceuls du commun.
Plus, je donne à Nicolas Ollivier, mon valet de chambre, six cents livres une fois payées, tous mes habits et mon linge qui sert à ma personne et le reste des draps du commun, mon arquebuse et mon épée.
Plus, je veux que tous mes meubles, or, argent, argent monnayé et non monnayé, tous les meubles meublants et tout ce qui s'appelle meuble selon la coutume d'Anjou soient vendus et le tout donné aux pauvres par les mains des religieuses de Port-Royal des Champs, entre les mains de qui je veux que le tout soit mis entre leurs mains par celui que je nomme exécuteur de ce présent testament, lequel j'ai lu et relu et veux qu'il soit le seul suivi, me réservant de faire au pied ou séparément de faire, si je veux, un codicille.
J'ai nommé pour exécuteur de ce présent testament Monsieur Hilaire, économe de ce monastère, sans qu'il soit obligé d'en rendre compte, si ce n'est à Monsieur de Sacy et à la révérende mère Abbesse à qui j'ai dit mes intentions pour la distribution de mes aumônes. S'il se trouvoit quelque autre testament que celui-ci, il sera nul, voulant que, s'il se trouvoit quelque difficulté en celui-ci à cause des formes, elle soit expliquée en faveur de ceux à qui je donne.
En foi de quoi j'ai fait et signé le même jour et an que dessus ce présent testament et y ai mis mon cachet qui est /295/ un Bon Pasteur avec ces mots tout autour : Qui non amat Christum sit anathema.
RENAUD-RENE DE SEVIGNE.
[A ce testament est jointe une enveloppe avec ces mots : « J'ai mis ce testament entre les mains de la révérende mère Abbesse de Port-Royal des Champs ce premier mars 1674, afin qu'elle ait la bonté de l'ouvrir aussitôt après ma mort. SEVIGNE. »]