La Réforme catholique, consacrée par le Concile de Trente, avait gagné tardivement la France, en raison des troubles des Guerres de religions, et de l’essor de la pensée gallicane. La pacification du royaume par Henri IV favorise le mouvement de réformes des établissements religieux du royaume.
Fille d’un avocat célèbre, Jacqueline Arnauld – Mère Angélique – devient coadjutrice de la vieille abbesse, Jeanne de Boulehart en 1599, à sept ans et demi, puis abbesse de l’abbaye cistercienne de Port-Royal en 1602 à l’âge de onze ans. En 1608, elle entreprend la réforme de l’établissement, en rétablissant la stricte observation de la règle de saint Benoît, la pauvreté, la vie communautaire et la clôture. Port- Royal est la première communauté de femmes réformée en France.
En 1625, la mère Angélique obtient la permission de créer un second établissement à Paris dans le faubourg Saint-Jacques. L’abbesse demande la séparation de Cîteaux et place l’abbaye sous l’autorité du nouvel archevêque de Paris. En 1629, elle obtient du roi Louis XIII la permission pour la communauté d’élire son abbesse, et démissionne en juillet 1630. La direction spirituelle de la communauté est assurée, vers 1635, par l’abbé de Saint-Cyran (1591-1653).
En 1647, le monastère prend le nom de Port-Royal du Saint-Sacrement, et les religieuses reçoivent le scapulaire blanc avec une croix rouge sur la poitrine, qui remplace le scapulaire noir des cisterciennes.
Réunis à Paris à partir de 1637, les solitaires s’installèrent l’année suivante à Port-Royal des Champs, dans l’abbaye abandonnée par les religieuses. Sous l’influence de Saint-Cyran, des personnalités laïques ou ecclésiastiques, parents pour la plupart de la mère Angélique, comme ses neveux Antoine Le Maître (1608-1658) ou Louis-Isaac Le Maître de Sacy (1613-1684), le médecin Jean Hamon (1618-1687), le grammairien Claude Lancelot (1615-1695), le moraliste Pierre Nicole (1625-1695)…, y menèrent une vie d’étude et de prières.
Pendant une vingtaine d'années, ils se publièrent de nombreux ouvrages, traductions (Nouveau Testament, Histoire des Juifs de Flavius Joseph, Les confessions de saint Augustin, les Œuvres de Thérèse d'Avila, La vie des Peres des déserts…), vie de saints, traités (grammaire, logique…), manuels scolaires (Méthode de latin, Jardin des racines grecques…).
Ils assurèrent la gestion des terres de l'abbaye, entretenaient les bâtiments. Au retour des religieuses en 1648, les Solitaires firent drainer le fond du vallon, entreprirent de rehausser le sol de l’abbatiale et se retirèrent dans la ferme des Granges.
Sous l’impulsion de l’abbé de Saint-Cyran, directeur spirituel de la communauté des religieuses de Port-Royal, les Solitaires se consacrent dès1637 à l’éducation des enfants et créent les Petites écoles. D’abord installées à Paris près de Port-Royal, elles sont transférées au Chesnay et au château de Troux après la Fronde (1648-1653) puis se fixent définitivement aux Granges de Port-Royal en 1652.
Dans la France du XVIIe siècle, les« petites écoles » étaient tenues par le clergé local et destinées à donner une instruction de base aux enfants (lire, écrire, compter). Depuis le XVIe siècle, les collèges, installés dans les villes, accueillent les garçons de la bourgeoisie. Ils sont tenus pour les 2/3 par les jésuites, concurrencés à partir de 1640 par les oratoriens.
A Port-Royal, les Solitaires accueillent jusqu’à vingt-cinq garçons issus des familles nobles proches de l’abbaye, par petits groupes de travail de cinq ou six élèves autour d’un précepteur, prêtre ou laïc. L’enseignement se fait en français. Il comporte un apprentissage des langues anciennes et vivantes.
Le 13 mai 1648, la mère Angélique revient à Port-Royal des Champs avec plusieurs religieuses. Une partie de la communauté se réinstalle aux Champs à la fin de la Fronde en 1653. L’abbaye des Champs vit désormais en étroite relation avec l’abbaye parisienne, alors que les premières mesures de Mazarin, puis du jeune roi Louis XIV, commencent à s’abattre sur les jansénistes.
L’évêque d’Ypres, Cornelius Jansenius (1585-1638), avait écrit un vaste traité, intitulé Augustinus, dans lequel il entendait exposer le véritable sens de la pensée théologique de saint Augustin. Sa publication posthume en 1640 souleva une forte polémique dans les Pays-Bas catholiques. L’ouvrage fut publié à Paris en septembre 1641. Ses contradicteurs français, principalement jésuites, s’employèrent à attirer l’attention de Richelieu sur les positions que Jansenius avait prises contre la France dans le Mars Gallicus (1635), dans lequel il dénonçait l’alliance du roi de France avec les princes protestants d’Allemagne. La bulle In Eminenti, signée dès le 6 mars 1642 condamnait l’Augustinus et des thèses contraires des jésuites de Louvain, renouvelant les interdictions de controverses publiques sur la grâce.
Jean Duvergier de Hauranne, vicaire général de La Roche-Posay, évêque de Poitiers depuis 1615, abbé de Saint-Cyran-en-Brenne dans le Berry à partir de 1620, fut entraîné, comme beaucoup de Poitevins, dans l’ascension de Richelieu. Il s’installa à Paris en 1620 et devint aumônier de la reine mère Marie de Médicis en 1622. Il apparaît comme directeur spirituel de la communauté des religieuses de Port-Royal vers 1633.
Richelieu chercha vainement à le faire entrer a son service. Mais ses positions intransigeantes contre plusieurs décisions royales indisposèrent le cardinal qui le fit arrêter le 13 mai 1638, affirmant qu'il serait l'auteur de « mauvaises maximes & fausse doctrine ».
Il resta en prison au château de Vincennes jusqu'à la mort de Richelieu en 1643..
Le débat théologique qui agita l'Eglise catholique au XVIe et au XVIIe portait sur le rapport entre la grâce divine et le libre arbitre de l’homme. À partir des thèses en cours à la fin du XVIe siècle, le jésuite Luis de Molina dans De concordia liberi arbitrii cum diuinæ gratiæ donis soutenait que l’homme pouvait user de son libre arbitre pour choisir la voie du salut, Dieu conférant sa grâce à tous les hommes. De plus en plus influents à la faculté de théologie de Paris (la Sorbonne) à la fin des années 1640, les docteurs attachés à la théologie augustinienne, à la tête desquels se trouvait Antoine Arnauld, affirmaient au contraire que l’homme ne pouvait parvenir au salut, Dieu choisissant à qui il accordait sa grâce.
Une lettre, préparée en avril par le jésuite Jacques Dinet sur un plan d’Isaac Habert, soumettait cinq propositions touchant aux questions de la grâce au jugement du pape. Elle furent condamnées comme hérétiques par le pape Innocent X dans la bulle Cum occasionne le 31 mai 1653 et rapidement présentée comme la substance d’une hérésie qu’on commença à appeler le « jansénisme ».
L'Assemblée du Clergé reçut la condamnation romaine le 28 mars 1654 mais en les attribuant à Jansénius. Antoine Arnauld rejeta cette accusation dans sa Seconde lettre à un duc et pair de France, datée de Port-Royal des Champs le 10 juillet 1655 et officiellement adressée au duc de Luynes, qui fut censurée en Sorbonne le 1er décembre 1655. Pour sa défense, les Messieurs de Port-Royal décidèrent de rendre le débat public, avec la publication des Lettres à un provincial dont la rédaction fut assurée par Blaise Pascal. Les trois premières lettres constituaient une tentative pour éviter la condamnation d’Antoine Arnauld en Sorbonne. Le 15 février, le théologien fut exclu de la Sorbonne et une soixantaine de docteurs le 24 mars suivant. Au même moment, le pouvoir royal exigeait la dispersion des petites écoles de Port-Royal.
Exhortée par le pouvoir royal à « consommer l’affaire du jansénisme », l’assemblée du clergé, dans une déclaration du 1er février 1661, adopta l’ancien formulaire de 1657 en proposant de le faire signer à tous les ecclésiastiques du royaume, ainsi qu’aux principaux des collèges, régents et maîtres d’école. Un arrêt du conseil du roi du 13 avril 1661 imposa la signature du formulaire à tous les ecclésiastiques du royaume et l’étendit aux membres des congrégations religieuses.
Le refus de la majorité des religieuses de Port-Royal de signer le formulaire provoqua la scission de la communauté : toutes les religieuses non signataires sont regroupées à Port-Royal des Champs, tandis que les religieuses signataires furent réunies dans le monastère parisien.
Privée de recrutement à partir de 1679, la communauté religieuse de Port-Royal des Champs déclina lentement pendant trente ans. La crise du "Cas de conscience" conduisit le roi Louis XIV a demander à Rome la réunion des deux monastères sous l'autorité de l'abbesse de Paris (9 février 1707) et l'extinction du titre d'abbaye (27 mars 1708). Le Lieutenant de police Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson fit disperser les vingt-deux dernière religieuses, le 29 octobre 1709 dans plusieurs couvent en dehors du diocèse de Paris.
L’arrêt du conseil d’État du 22 janvier 1710 entérina la décision de démolir les bâtiments conventuels puis, dans celui du 16 novembre 1711, celle de détruire l'église abbatiale. Les travaux de démolition durèrent jusqu'en juin 1713.
ill. : anonyme (France, XVIIIe siècle), L'Expulsion des religieuses de Port-Royal des Champs, Musée de Port-Royal, D 2005.1.007 (dépôt de la Société de Port-Royal).
Le pouvoir royal obtint de Rome une ultime condamnation des thèses jansénistes avec la bulle Unigenitus. Cette nouvelle condamnation visait plus particulièrement l'oratorien Pasquier Quesnel, héritier spirituel d'Antoine Arnauld et chef de file du second jansénisme. Elle fut rejetée par une partie du clergé français qui réclama, pendant de longues années, la réunion d'un concile national, présenté comme seul capable d'étudier la validité de la condamnation. La contestation fut portée, le 1er mars 1717, par quatre évêques (Jean Soanen, évêque de Senez, Charles-Joachim Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, Pierre de Langle, évêque de Boulogne, et Pierre de La Broue, évêque de Mirepoix), soutenu par des membres du clergé qu'on désigna sous le nom d'« appelans ».
ill. : Jean Restout, Jansénistes au pied de la Croix, Musée de Port-Royal, 2020.3.001.
La crise de l'Appel culmina en 1728-1732, avec une série de guérisons réputées miraculeuses sur la tombe d'un ecclésiastique appelant, le diacre François de Pâris, mort le 3 mai 1727 et enterré dans le cimetière de l'église Saint-Médard, dans les faubourgs artisans de Paris. Face au risque de désordre, le cardinal Fleury ordonne la fermeture du cimetière par ordonnance royale en 22 janvier 1732. Les fidèles du diacre Pâris choisirent alors de se réunir clandestinement et formèrent la mouvance des convulsionnaires.
Proche des milieux convulsionnaire, le magistrat Louis-Basile Carré de Montgeron tenta de rallier Louis XV à la cause des miracles de Saint-Médard en faisant imprimer à ses frais un luxueux recueil de miracles qu'il alla remettre lui-même au roi à Versailles en juillet 1737.
ill. : anonyme (France, XVIIIe siècle), d'après Jean Restout, Le Tombeau du bienheureux François de Pâris, diacre, Musée de Port-Royal, 1980.2.023.
Au milieu du XVIIIe siècle, la défense de la cause janséniste se transporta au sein des parlements qui firent des tentatives de contrôle du clergé de contrôler les milieux jansénistes une affaire d'ordre public. En 1752, le parlement de Paris s'opposa à l'Archevêque qui voulait interdire la confession aux fidèles qui rejetteraient la bulle Unigenitus. Après la crise parlementaire (1756) et l'attentat de Damiens contre Louis XV (1757), les parlementaires maintinrent la pression sur le clergé antijanséniste en concentrant leurs attaques sur les jésuites. La suppression de la Compagnie en France (1764), acheva de séparer le Clergé du pouvoir royal et renforça les velléités politiques des parlements.
ill. : anonyme (France, XVIIIe siècle), L'orgueil ecclésiastique confondu par le Parlement, Musée de Port-Royal, 2013.1.059.
Solidement représenté au sein des parlements, le "parti janséniste" se reforma dans la résistance à la tentative de réforme des parlements par le président Maupeou dans les années 1770 et se prolongea en "parti patriote" lors de la pré-révolution (1787-1788). Toutefois, la pensée janséniste irrigua les écrits des auteurs jansénisants, qui plaçaient leur confiance dans la "volonté générale", mais également dans ceux de leurs adversaires, également jansénisants, mais défiants envers la souveraineté nationale et hostiles à la Constitution civile du Clergé en 1790.
Les jansénistes n'ont pas fait la Révolution. Mais leur culture religieuse et politique a contribué à nourrir une de ses plus belles figures : celle de l'abbé Grégoire. Dans son livre les Ruines de Port-Royal (1801), il fut le premier à affirmer une relation entre républicanisme et jansénisme car "ce qui tient à Port-Royal tient à la Liberté".
ill. : anonyme (France, XVIIIe siècle), Camus, Talleyrand, Rabaut-Saint-Etienne, la Religion, Paris, BNF, Estampes et photographie, Réserve QB-370(18)-FT 4.